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Le Diouck, un voyage intérieur entre sons, lignes et héritages
Le Diouck est un artiste évoluant entre musique et illustration. Passionné de dessin depuis l’enfance, il puise son inspiration dans Le Seigneur des Anneaux et le studio Ghibli. Un voyage au Sénégal l’ancre dans ses racines et marque un tournant décisif. De retour en France, il étudie la bande dessinée et travaille sur un roman graphique avec Arthur Hawker.
En 2018, il cofonde Nyoko Bokbae avec Bamao Yendé et Boy Fall. Encouragé par Bonnie Banane, il se consacre pleinement à la musique et enchaîne les performances scéniques. Après Nyoko Bokbae, il entame une carrière solo et collabore avec Crystal Murray.
Son premier album, « Grace Joke », prévu pour 2025, fusionne rock, afro et baile funk, mêlant wolof, français et anglais. Parallèlement, il crée avec Yasmeen El Hamdani le roman graphique « Codex Cineris », inspiré de son album. À la croisée des disciplines, Le Diouck redéfinit les frontières de la création artistique.
Direction créative / Interview : AWA M.SISSOKO
Photographe : ANDY LONG
Styliste : TAHI GUY ROLLAND
Assistantes : MARIA BRUNNER & LILA SOEN
Mouvement Dir. : ALEXANDRE NADRA
Maquillage : VLAD GUEYE
Coiffure : SALOWIGS
Artiste : LE DIOUCK
Peux-tu te présenter en quelques lignes ?
Je suis un artiste pluridisciplinaire qui explore et fait converger les différentes facettes de ma créativité, notamment à travers la musique et l’illustration. Ces disciplines en constant dialogue construisent et font évoluer mon travail artistique – où chaque échange devient une opportunité de se réinventer. J’accorde une importance primordiale à cette dynamique nourricière et renouvelable, qui me pousse à me dépasser et à constamment sortir de ma zone de confort. Cette approche me permet non seulement d’élever mon art, mais aussi de m’ouvrir / me confronter à des perspectives et des formes nouvelles, empreintes de risques et de découvertes personnelles.
Tu as commencé avec le groupe Nyoko Bokbae. En quoi cette expérience a-t-elle été enrichissante ?
C’était le début de beaucoup de choses ! J’ai fait mes premiers pas dans la musique avec le groupe Nyoko Bokbae, et cette expérience a été d’une richesse inestimable. La synergie chaleureuse et bienveillante qui émanait de notre collaboration, entre Boy Fall, Bamao Yendé et moi, nous a permis de créer une œuvre que nous n’aurions jamais imaginée au départ. Ce qui n’était qu’un jeu au départ, chez Bamao, alors que je travaillais encore sur mon projet de roman graphique issu de mes années à l’école d’art spécialisée en bande dessinée Cesan, s’est transformé en quelque chose de bien plus grand. Quelque chose, qui par sa naïveté et sa fougue, échapperait à toute tentative de reproduction. Boy Fall explorait alors l’univers de la mode en tant que mannequin et styliste, tandis que Bamao se forgeait une réputation sur la scène clubs en tant que DJ. Ensemble, nous avons évolué dans la musique à travers Nyoko, et cette aventure m’a permis de découvrir la profondeur et la beauté de l’expression musicale. Ce fut un véritable exercice de vie, où chaque émotion et chaque ressenti finissait par être utile, prenant forme autrement, à l’extérieur de moi. Cela m’a permis de mettre des mots sur des chagrins anciens et de transformer ces blessures en art. Le point culminant de cette expérience fut mon premier concert. Ce jour-là, j’ai pu lier la musique à une autre passion qui m’anime depuis toujours : la scène. La scène, que j’avais déjà explorée à travers le théâtre, m’a toujours offert un espace d’épanouissement. C’est un art que je recommande à tous, car il m’a permis de me découvrir sous des aspects insoupçonnés et de grandir en confiance. À chaque représentation, je ressentais un bonheur total et une aisance naturelle. Cette symbiose entre musique et performance scénique a révélé une part essentielle de moi, que je continue d’explorer avec passion.
Qu’est-ce qui t’a poussé à te lancer dans une carrière solo après Nyoko Bokbae, et comment cela a-t-il transformé ta manière de créer ?
J’ai été grandement encouragé par Bamao, qui, dès le départ, m’a incité à voler de mes propres ailes. Bien que la configuration de notre trio nous convenait et nous apportait énormément, j’avais à cette époque davantage de temps à consacrer à la musique que Boy Fall, ayant mis en pause mon amour pour le dessin afin de m’y consacrer pleinement. C’est également grâce aux précieux conseils de mon amie Bonnie Banane, qui dans ce cheminement là, a joué un rôle de mentor, m’aidant à réaliser mon potentiel. À cela s’est ajouté l’appui inestimable de mon amie Lala &ce, qui, comme Bamao Yendé, m’a encouragé à m’orienter vers une œuvre en solo. Lala est même allée plus loin en me proposant de rejoindre son label fraîchement créé &ce Recless, celui-là même où elle avait sorti son premier album Everything is Tasteful. Se sentir entouré et poussé de personnes que l’on admire et respecte profondément, ca n’a pas de prix ! Cet instant m’a offert la confiance et la liberté nécessaires pour explorer pleinement ma propre vision artistique. Travailler en groupe reste pour moi une force immense, car cette dynamique collective me pousse à aller plus loin. J’aime profondément avancer en équipe, être porté par un objectif commun. Cependant, cette expérience m’a également permis, une fois engagé dans une carrière solo, de mieux comprendre mes aspirations. J’ai appris à définir clairement ce que je voulais, mais surtout ce que je ne voulais pas. Cette exploration personnelle, enrichie par les relations et les conseils de mon entourage, a transformé ma manière de créer en m’offrant une perspective plus affirmée et indépendante.
Peux-tu nous raconter le processus derrière ton nouvel album, Grace Joke ?
Grace Joke est un album que j’ai patiemment façonné au cours de trois années riches en rebondissements et en changements. Je n’ai pas voulu me précipiter, même si, lors de la première année, l’idée de sortir cet album solo rapidement était devenu une obsession. J’avais certe hâte de le partager, mais avec le recul je pense que cette impatience provenait certainement d’un besoin pour moi de tourner la page, comme une fuite en avant. Avec le recul, je suis profondément heureux de ne pas avoir cédé à cette précipitation. Ces trois années ont été des années charnières dans ma vie personnelle. Ce temps, ce recul m’ont permis d’amener mon projet à maturation, sans en lisser les contours, au contraire ! J’ai pu façonner ces émotions brutes, ces impulsions instinctives, qui m’ont permis d’écrire cet album, pour les traduire, les sublimer, les enrichir et créer un album encore plus complet. Ce recul m’a permis aussi de véritablement approfondir ma démarche artistique et d’atteindre ce fameux point d’orgue où l’œuvre reflète pleinement l’artiste qui l’a créée – non pas dans un instant statique mais bien dans un mouvement, un changement. Même si je suis très exigeant envers moi-même, rarement pleinement satisfait, aujourd’hui, je suis réellement satisfait de ce que j’ai accompli. Je ressens une immense gratitude envers toutes les personnes qui m’ont accompagné dans ce projet. J’ai eu la chance de collaborer avec des artistes et producteurs époustouflants, chacun ayant apporté leur pierre à cet ouvrage. Ce projet m’a permis de matérialiser les reliefs musicaux qui tournaient dans ma tête depuis des années et qui aujourd’hui fondent mon identité musicale. Les sonorités de l’album naviguent entre l’afro, le rock et le baile funk, reflétant cette recherche constante d’équilibre et de nouveauté. Cette diversité témoigne de mon désir de créer une musique qui transcende les genres, en racontant une histoire sincère et vibrante.
Tu jongles entre le wolof, le français et l’anglais dans tes chansons. Que signifie cette approche multilingue pour toi ?
J’ai commencé par chanter en wolof, car c’était plus naturel et instinctif pour moi. Outre la beauté de cette langue sénégalaise, elle me permettait de m’exprimer plus facilement, surtout pour partager mes sentiments. À l’époque, je ne me sentais pas encore complètement à l’aise avec l’idée de dévoiler mes émotions de manière aussi directe en français, une langue qui rend tout immédiatement compréhensible, transparent et moi, vulnérable. Le wolof m’offrait une certaine carapace, une manière de m’exprimer en toute liberté. Au fil du temps, j’ai commencé à mélanger le wolof avec le français et l’anglais, un peu à l’image de la manière dont les jeunes parle couramment au Sénégal. Ce mélange est devenu un jeu, une exploration. Par exemple, j’aime écrire des paroles en français dans lesquelles j’intègre des mots ou expressions en wolof, créant un déséquilibre volontaire. Cela me permet de détourner un peu l’attention des mots pour la recentrer sur la dynamique du flow. Pour moi, les langues que j’utilise sont bien plus que des outils de communication. Je les perçois comme des éléments qui enrichissent mon univers musical. Mon flow est une facette essentielle de ma musique, et je le considère comme un instrument à part entière, complémentaire des autres. Chaque langue que j’emploie contribue à affiner cette dynamique et à nourrir cet élan créatif qui caractérise mon approche musicale.
Quelle est ta meilleure collaboration artistique à ce jour ?
Sans hésiter, Lala O Yendé. Ils incarnent à eux deux les piliers de mon épanouissement musical. Bamao Yendé a été celui qui a ouvert une porte en moi que je n’aurais jamais soupçonnée des années auparavant. Plus qu’un collaborateur, il est un frère avec qui j’ai partagé des moments inoubliables, d’une intensité indescriptible. Bamao est la cause de ce que je suis musicalement parlant aujourd’hui. Mon professeur, mon producteur avec qui j’ai tout commencé. J’accorde un amour profond à notre relation. A l’instar de Bamao Yendé, une sorte de coup de foudre artistique et humain est né avec Lala &ce. Elle a été, en quelque sorte, la continuité naturelle de ce que Bamao avait amorcé. Lala a cru en moi à un moment où mes doutes menaçaient de prendre le dessus. Elle a été un soutien inconditionnel, m’offrant cette force de croire en mon potentiel quand moi-même je peinais à le faire. Tout comme lui, elle m’a épaulé artistiquement, m’accompagnant pour que je puisse me hisser au niveau des attentes que l’on plaçait en moi. Quand je pense à eux, je me revois comme Oden Kozuki dans One Piece, face à Barbe Blanche et Gol D. Roger. Ce sont ces figures inspirantes, ces âmes profondément chères et indispensables à ma vie. Leur présence, et leur amour ont transcendé le simple cadre de la musique pour devenir une part essentielle de qui je suis. En termes de collaboration musicale, Lala et Bama demeureront toujours mes plus belles expériences. Ce qui nous lie va bien au-delà de la création artistique.
Quelles thématiques as-tu voulu mettre en avant dans ce roman graphique que tu travailles en parallèle de l’album ?
Le roman graphique sur lequel je travaille est une extension directe de l’univers de Grace Joke. C’est un projet qui s’articule dans la résonance entre la musique et la narration visuelle. Chaque morceau de l’album a servi de point de départ pour tisser l’histoire de ce roman fantastique que je co-écris avec Yasmeen El-Hamdani. J’ai hâte de vous plonger dans cet univers, où l’imaginaire et le réel s’entrelacent, et de vous en révéler davantage dès la sortie de Grace Joke. Pour moi, cet album et ce roman graphique ne sont pas deux entités séparées, mais bien les facettes d’une même vision artistique, qui se décline petit à petit sous différentes formes, différentes approches, différentes pratiques artistiques.
À travers ton album et ton roman graphique, quel message ou quelle émotion veux-tu que ton public ressente ou comprenne ?
L’idée maîtresse est celle du combat intérieur, cette nécessité impérieuse de se confronter à soi-même, de faire face à ses douleurs, à ses failles, et de les embrasser ou les transcender pleinement. Il s’agit d’accepter que nos blessures, aussi profondes soient-elles, ne demeurent pas en vain, au contraire même ! Elles dessinent les cicatrices qui loin de nous diminuer, sculptent notre singularité. À travers Grace Joke, je souhaite que chacun puisse ressentir cette urgence de se confronter à soi-même, à nos défauts comme à nos qualités, et trouver cette énergie enfouie, ce pouvoir de transformer la peine en force et de réécrire son histoire au fil des peines et des obstacles. Ce que je souhaite transmettre, c’est que, peu importe le rythme auquel nous traversons la vie, la véritable difficulté est de rester fidèle à soi-même. C’est en cultivant cette harmonie délicate, cet équilibre à la fois fragile et profond, que l’adversité, loin d’être un frein, sublime notre évolution et en révèle toute la beauté.
Où te vois-tu dans les années à venir ? Y a-t-il d’autres projets ou défis que tu aimerais explorer ?
Dans les années à venir, je me vois intensifier/diversifier ma démarche artistique pour lui donner une portée encore plus vaste, un écho capable d’inspirer et d’unir. Mon ambition est de créer un pont solide entre mes racines africaines et mon identité française, devenir une voix de la diaspora africaine, catalyser les échanges, les collaborations artistiques, comprendre les manières de saisir ces identités et les manières de les visiter autrement. Cela passe par des projets pluridisciplinaires qui mêlent art visuel, écriture, performance et initiatives sociales. Je veux œuvrer pour les autres, créer des espaces pour ceux qui n’ont pas toujours la possibilité de s’exprimer. Créer avec ceux qui partagent cette quête de sens et de reconnaissance pour façonner une vision artistique collective qui résonne dans les cœurs et les esprits.
Pour finir, quel conseil donnerais-tu aux jeunes artistes qui veulent se lancer ?
Le premier conseil que je donnerais à tout jeune artiste est de cultiver la patience et la sincérité dans son art. L’art n’est pas une course, mais un cheminement où chaque étape, chaque doute, chaque réussite est une pierre qui forge la vision et l’identité. À l’heure de l’hyper consommation et l’ultra-fast-fast-fast-everything, c’est essentiel de ne pas se laisser consumer par les attentes financières ou la recherche immédiate de reconnaissance. L’important est de créer avec authenticité, de faire résonner en soi cette voix qui nous appelle, même dans les moments où tout semble incertain. La vingtaine est un temps de réflexion et d’expérimentation, et si la trentaine marque des décisions plus affirmées, il est primordial de comprendre que ce chemin est propre à chacun. Nous vivons une époque unique, où jongler entre plusieurs vocations est non seulement possible, mais un privilège. C’est une chance de pouvoir exprimer son art aujourd’hui. Mais cela impose aussi une responsabilité : celle de rester, encore une fois, le plus fidèle possible à ce que l’on est. Trois mots ont toujours guidé ma démarche : échange, rencontre, partage. Ce sont des piliers fondamentaux, car en bon animal social, je suis persuadé que l’art sous sa plus belle forme jaillit loin de l’isolement. Dernière chose : Crois en toi, avance avec humilité, et n’oublie jamais de regarder derrière toi pour mesurer le chemin parcouru. C’est là que tu trouveras la force de continuer.